Les êtres non conscients ne se questionnent pas ; la question du sens de leur vie ne se pose donc pas pour eux. Ils vivent simplement : ils agissent, ils mangent, ils dorment, ils meurent. L’homme, en revanche, n’a pas ce privilège. Pour agir, il doit justifier ses actions, et pour justifier, il doit questionner. Ainsi, la question du sens de sa vie devient primordiale. Sans justification, il n’a ni raison d’agir ni même d’exister. Alors il cherche, il s’accroche au moindre mensonge, aussi fragile soit-il, pour donner un sens à sa vie et justifier son existence.
La vérité la plus brutale, la plus implacable, est que la vie n’a pas de sens. On peut expliquer comment elle est apparue, mais cela ne signifie pas qu’elle ait une finalité. La vie n’est qu’un engrenage, un rouage en mouvement actionné par les mécanismes de l’existence qui l’ont précédée. Mettre en mouvement les engrenages qui suivent n’est pas le but de la vie, mais seulement sa conséquence. À la question « quel est le sens de la vie ? », seules deux réponses cohérentes peuvent être formulées : la première, il n’y en a pas ; la seconde, le sens de la vie est la mort, car elle en constitue la fin ultime.
Ces deux réponses, bien que lucides, ne répondent pas aux besoins profonds de l’homme. Elles ne lui offrent aucune raison de vivre, aucun motif d’action. Elles ne justifient rien. Alors, pour vivre, l’homme n’a souvent d’autre choix que de se mentir — à lui-même, aux autres. La religion n’est-elle pas, au fond, un tel mensonge ? Un pacte entre hommes, un accord tacite qui donne à la vie un sens en postulant qu’un être supérieur l’a conçue. C’est une réponse pratique à toutes les questions dangereuses pour la stabilité de l’existence humaine ; une justification rassurante qui explique pourquoi il faut être, pourquoi le suicide est un crime. Et on y croit, quels que soient les abus de ceux qui exploitent ce pacte de façon inégale, car la peur de vivre sans raison est bien plus grande que celle de se faire manipuler.
Les hommes, lorsque cela leur est utile, prient leur dieu, leur seigneur, leur idéologie, leur institution. Ils se réfugient dans des mensonges organisés, acceptant — souvent inconsciemment — de se faire utiliser par ceux qui dirigent ces structures, tant qu’ils reçoivent en échange une justification. Un ennemi, une tradition, une direction quelconque. Ils plient leur morale pour justifier leur existence ; ils existent, en somme, pour justifier leur être. Ainsi, ils mentent, ils cherchent et glorifient des causes et des individus qui valident leur raison d’être. Parallèlement, ils haïssent ceux qui s’opposent à leur chemin, car ces opposants menacent leur existence en remettant en question leurs justifications. Ceux qui s’opposent à leur manière d’être sont, au mieux, des ignorants, au pire, des monstres inhumains méritant la plus violente des rétributions.
Le groupe suit le chef, qui incarne et définit leur morale, et donc leurs actions. Et ce chef, à son tour, suit son idéologie, son dieu, sa morale, ou même sa propre avidité. Il se justifie à travers ses propres idées ou en se soumettant lui-même à un autre chef. Nous sommes les esclaves de ces justifications, toujours l’esclave de notre propre existence. Notre être et toutes nos actions sont construits sur de tels mensonges ; notre réalité propre se déforme ainsi, car pour garantir la conscience et donc la présence de cette réalité propre, l’homme a besoin de se mentir à lui-même.
Dans le mensonge, car l’homme n’a rien d’autre à faire qu’attendre la mort, la vie, dans toute sa gloire, n’est que cette salle d’attente. Peu importe ce que l’homme y fait, cela ne sert à rien ; à la fin, il mourra et alors, tout partira avec lui : la gloire, la haine, la joie, l’amour, l’argent ; il ne restera que le vide de l’après, l’absence de toute chose qu’il a un jour possédée. La vie n’a de sens que pour les vivants (car les vivants doivent justifier leur propre vie), et la mort en est l’unique et absolue fin. Tout est cause et conséquence, et nous savons tous que la dernière conséquence sera le vide. L’entropie avance, et l’homme, peu importe à quel point il se débattra, finira au même endroit.
L’ironie est que même ses mensonges s’estompent dans l’esprit de l’homme. Nous nous perdons dans notre routine, dans notre travail, dans toutes les tâches qui nous incombent sans que nous ayons le choix de faire autrement. Car la base de la discipline est cela : l’art de faire sans raison de faire. Par cette discipline, nous créons une routine, et par cette routine, nos justifications ne deviennent utiles que dans nos rares moments de lucidité, où nous nous questionnons sur le sens de nos actions. La réalité des choses est que l’Homme fait pour faire, chaque conscience temporelle humaine n’a aucun but, elle ne fait que la seule action qu’elle peut faire. Inévitablement nous ne sommes que des mécanismes répondant de la seule manière dont nous pouvons aux choses. De cette manière, parler de sens ou de grand objectif à la vie est futile, car celle-ci se retrouve linéaire. Tout comme le libre arbitre, celui-ci est un mensonge fait pour adoucir nos souffrances, un moyen de pouvoir vivre sans faire face à notre tragique réalité.
By Tyméo ACHTE