Toutes les choses qui existent possèdent cette propriété factuellement. L’existence et les choses qui la constituent sont, par essence, indescriptibles. Les choses qui existent de cette manière le font de façon absolue, immuable, inquestionnable : elles sont dotées d’une réalité pure. Cette réalité pure ne peut jamais être comprise ni expliquée ; elle ne peut, en raison de sa nature intrinsèque, qu’être observée. La perception humaine, cependant, est imparfaite, non fonctionnelle et déformée. Nul ne peut observer directement la réalité pure, mais il est possible d’interpréter nos observations altérées pour créer sa propre réalité. Cette dernière fait référence à la réalité subjective d’un individu, particulièrement celle d’un être doté d’une sapience suffisante pour réfléchir et être conscient de cette réflexion. La perception de cet individu est inévitablement corrompue et imparfaite, et il crée ainsi une réalité imparfaite dans laquelle il vit.
Nous distinguons donc deux grands concepts d’existence :
- La réalité pure
- La réalité propre
La réalité pure existe sous la forme d’un bloc unique, sans sous-catégories internes. Il n’y a pas de couches métaphysiques dans la réalité pure ; elle constitue le fondement de toute chose possédant la propriété d’existence factuelle. En des termes plus simples, on pourrait la définir comme « la véritable réalité ».
En revanche, la réalité propre englobe une multitude de sous-catégories aussi nombreuses que le nombre d’individus conscients. Chaque être possède sa propre réalité, qui définit à sa manière les mécanismes métaphysiques de l’existence. On peut ainsi définir la réalité propre comme le reflet déformé de la réalité pure.
La réalité propre est formée par un processus complexe : celui de la perception.
La perception englobe l’ensemble des stimuli reçus et des informations traitées à travers ces stimuli. Elle se manifeste par l’intermédiaire des sens, dans toute leur diversité et subtilité. Cependant, ce processus est limité et imparfait.
Le corps physique possède des limitations intrinsèques qui restreignent la perception. L’être est limité à ses sens : la vue, l’ouïe, le toucher, etc. À travers ces sens, les êtres reçoivent des stimuli variés et donc des informations distinctes. Théoriquement, pour percevoir la réalité pure, il faudrait posséder une perception pure, c’est-à-dire être capable de percevoir avec tous les sens imaginables et inimaginables, possibles et impossibles, puis utiliser ces sens pour expérimenter tous les événements envisageables. Cela impliquerait que l’être devienne simultanément tous les êtres qui existent, ont existé et peuvent exister. En possédant la somme de toutes ces expériences, il pourrait alors percevoir la réalité dans tous ses aspects. Ainsi, le seul moyen d’accéder à la réalité pure en tant qu’être conscient serait d’atteindre l’omniscience, c’est-à-dire la divinité.
Le corps emprisonne l’être dans sa réalité propre, unique à chaque individu en raison du fait que chacun possède son propre corps, ses propres expériences et donc sa propre perception. Chaque être est donc, par essence, isolé des autres de manière absolue. Il n’est pas possible d’interagir directement avec un autre individu, seulement avec le reflet déformé par nos sens et nos biais (notre réalité propre) de cet individu (tout comme cet individu communique avec notre reflet déformé par sa réalité propre). Pour réellement percevoir un autre être, il faudrait partager le même corps et les mêmes expériences, tout en renonçant à son propre corps et à ses propres expériences. Le seul moyen de comprendre un autre serait de devenir cet autre. Ainsi, il est impossible de comprendre pleinement autrui sans perdre son propre soi. Chaque être conscient vit donc dans une réalité propre, séparée des autres, car la seule façon de vivre dans la réalité propre d’un autre serait de devenir cet autre.
Cependant, la chair n’est pas la seule limitation à la perception de la réalité pure ; il y a aussi les limites intrinsèques de la conscience. Notre être, en raison de son besoin naturel de protéger son intégrité, nous empêche d’accéder pleinement à la réalité pure. En revenant à l’exemple de la perception pure, l’accès à la réalité pure mettrait en danger l’existence même de l’individu en tant qu’être. En effet, la conscience est construite autour du principe même de la réalité propre, et accéder à la réalité pure mettrait en péril les fondements mêmes de l’existence consciente. Si l’individu percevait la réalité pure, celle-ci deviendrait une partie active de son être, et sa réalité propre se fondrait entièrement avec la réalité pure. La conscience, basée sur la réalité propre, serait alors effacée et remplacée par la réalité pure, qui, étant un bloc absolu, implique que la perception de la moindre parcelle entraîne la perception de l’ensemble. Le concept traditionnel de la conscience est donc totalement incompatible avec la perception de la réalité pure.
La réalité propre constitue ainsi le cadre et la base de la conscience ; ils sont indissociables.
Au moment précis de la naissance de la conscience d’un être, sa réalité propre est uniquement constituée de son corps, car aucune expérience n’a encore eu lieu. À chaque microseconde de son existence, la réalité propre de cet individu se modifie en fonction des expériences qu’il vit. Le simple fait d’exister et de percevoir (même le vide) modifie la réalité propre de l’individu, et donc sa conscience. La conscience d’un individu à un moment donné dans le temps peut être qualifiée de « conscience temporelle ». Un individu change de conscience temporelle à chaque variation de sa réalité propre, c’est-à-dire à chaque nouvelle expérience ou modification de l’état de son corps. Ainsi, un être conscient subit des milliers (voire davantage) de mort et de naissance de conscience temporelle par seconde. La conscience temporelle active, qui conserve les souvenirs de la précédente, est convaincue de la continuité de son existence. La mort des consciences temporelles antérieures est imperceptible. De cette manière, chaque conscience temporelle est convaincue d’être la seule à avoir existé et à pouvoir continuer d’exister. Le corps est le vaisseau qui maintient cette illusion et permet aux consciences temporelles de se renouveler.
Chaque conscience temporelle est prévisible dans ses actions, à condition de connaître l’intégralité des facteurs qui la constituent. Il devient alors possible de prédire à l’avance les choix qu’une conscience temporelle ferait dans une situation donnée, si toutes les informations liées à sa formation étaient connues. De cette manière, les individus peuvent être comparés à des dominos : leurs choix et leurs orientations sont prévisibles et calculables avec suffisamment de données. Chaque conscience temporelle agit en fonction des souvenirs et des expériences de la conscience temporelle précédente.
Prenons l’exemple d’une conscience temporelle confrontée à un choix entre A et B. Si elle choisit B dans une situation donnée, elle choisira toujours B dans cette même situation, car elle est « programmée » pour faire ce choix. Ainsi, la conscience temporelle est fixe et donc prévisible. On peut alors voir la conscience générale comme une succession d’états fixes de conscience temporelle évoluant de manière linéaire.
La conscience temporelle est donc, en ce sens, complètement stagnante et incapable de faire autre chose que ce pour quoi elle a été « amenée » à faire. Chaque conscience temporelle, durant sa courte existence, doit, après tout, faire un choix, qu’il s’agisse d’agir ou de ne pas agir (ou même de prolonger l’action d’une conscience temporelle précédente). Par exemple, imaginons un individu qui ne fait rien dans une pièce vide. À ce moment-là, sa conscience temporelle a fait le seul choix logique qui lui était possible : ne rien faire. Si cet individu était soudainement téléporté dans une situation où une action était nécessaire, il changerait immédiatement de conscience temporelle, et cette nouvelle conscience effectuerait alors le seul choix logique en fonction de la nouvelle situation. Ainsi, chaque conscience temporelle est conçue pour réaliser le seul choix qu’elle est en mesure de faire dans son contexte donné.
En résumé, chaque conscience temporelle est programmée pour agir d’une manière déterminée, en fonction de la situation dans laquelle elle se trouve. Cette action ou inaction est le produit de tous les facteurs influençant la réalité propre de l’individu : son corps, ses expériences passées, et les circonstances présentes (informations que la conscience temporelle active hérite des consciences temporelles précédentes). Le choix effectué par la conscience temporelle à un moment donné est donc inévitable et prévisible, car il est dicté par la somme des conditions et des informations qui la composent.
Ainsi, l’évolution de la conscience temporelle ne peut être que linéaire. Une fois les données initiales de la conscience compilées (au moment de la naissance de la conscience, lorsque seul le corps existe pour définir l’être), il devient possible de prédire les choix futurs de l’individu et donc l’évolution de sa conscience, à condition de posséder toutes les informations sur l’environnement dans lequel cet individu évolue.
En observant le monde en dehors du point de vue de la conscience, nous pouvons constater que tout repose sur le principe de cause et conséquence. Chaque chose est à la fois cause d’une conséquence et conséquence d’une cause. La réalité est fondamentalement mécanique ; elle fonctionne comme un système d’engrenages où chaque pièce en pousse une autre. La règle absolue de l’univers est que tout découle d’une source et continue sans cesse. Il n’y a pas de fin absolue, uniquement des débuts, des renouvellements et des continuations. La réalité est constituée d’éléments qui interagissent en permanence selon ce principe de causalité, et la réalité pure est l’ensemble de ce mécanisme unifié dans le bloc absolu de son existence.
La conscience (et donc la réalité propre) n’est qu’un sous-processus de ce mécanisme général. La conscience est une fonction qui régit, tout comme la gravité ou d’autres lois physiques, la manière dont le corps (en tant qu’élément existentiel) interagit et agit dans l’univers. De la même façon que la gravité explique la cause et la conséquence de la chute d’un objet, l’analyse de la conscience explique la cause et la conséquence des actions d’un corps vivant.
By Tyméo ACHTE